Les valeurs et les vertus dans le management des entreprises

Publié le par Réseau Experts

Les valeurs sont des facteurs de motivation.

Nos croyances et nos valeurs personnelles sont des puissants moteurs d’énergie. Lorsque nous travaillons dans un environnement en harmonie avec nos valeurs, nous sommes capables du meilleur et nous sommes capables de déployer une énergie fantastique, de manière positive et sans stress particulier. En revanche, lorsque nous travaillons dans un environnement qui contrarie nos valeurs, nous sommes démotivés, malades et stressés. Nos performances sont alors bien évidemment déplorables et ni l’individu ni la collectivité qui l’emploie ne se portent bien. Or chacun d’entre nous, selon son éducation, sa culture, son origine, s’est constitué ses références. Il est difficile de partager des valeurs lorsqu’une communauté regroupe et fait travailler ensemble des dizaines d’individus. De plus, selon le niveau hiérarchique, les valeurs sont différentes. Un tel chef d’entreprise veut promouvoir la saine concurrence et la compétition alors que les employés aspirent à une relation dénuée de conflits avec les collègues de travail.

Or actuellement, les entreprises sont des territoires d’anti valeurs. Nous avons été habitués à considérer l’entreprise et l’économie comme des jungles où les forts tuent les faibles, où il faut se battre en permanence pour survivre. Nous lâchons nos fournisseurs pour trouver moins cher à l’Est, au Nord ou au sud. Nous glissons des peaux de bananes sous les pieds de nos supérieurs ou de nos collègues pour prendre leur place et faire carrière, nous gardons jalousement notre savoir-faire pour éviter que quelqu’un prenne notre poste et pour montrer que nous sommes les meilleurs. Dans ces conditions, il est bien sûr difficile de motiver les personnes. Celles qui ont compris (et elles sont nombreuses) qu’elles ne sont pas assez agressives pour se faire une place dans l’organisation lâchent pied petit à petit et utilisent leur énergie en dehors du travail, par exemple dans des associations où elles font du bénévolat ou dans le sport et les loisirs.

Il existe actuellement une montée des valeurs comme modèles d’entreprise mais le pari est difficile. En effet, il ne suffit pas de décréter que désormais nous obéirons à telle ou telle valeur pour que tout le personnel se mette à travailler différemment. Les valeurs se démontrent par l’exemple et par la mise en situation. Il ne sert à rien d’affirmer que nous sommes courageux tant que nous n’avons pas été confrontés à une situation dans laquelle nous avons du faire preuve de ce courage que nous vantons. C’est un travail de longue haleine qui est du ressort en préalable des directions et de l’encadrement. L’exemplarité est le préambule indispensable à la mise en place de valeurs comme modèles en entreprise.

 

Nous pouvons formuler et exprimer des valeurs dans les faits et dans l’exemple.

Les valeurs doivent s’énoncer. Les difficultés résident dans le choix des valeurs, puis dans leur compréhension commune et enfin et surtout dans leur mise en pratique. En effet, si le management par les valeurs reste simplement un effet d’annonce, il y aura beaucoup d’énergie dépensée pour peu de résultats.

 

Le choix des valeurs.

Le choix des valeurs est souvent décidé par les managers (ou par les comités de direction) à partir d’une « vision » à long terme du devenir souhaité de l’entreprise. Ce choix propose un ensemble d’éléments pouvant être éthiques (par exemple respect des autres, confiance en l’homme, etc.), ou à connotation commerciale (comme par exemple l’écoute et la satisfaction des clients, etc.) ou bien encore des qualités personnelles (comme par exemple l’envie de gagner, de partager les expériences, etc.). Cette approche qui part de la vision du chef d’entreprise, puis qui se déploie en valeurs, en missions puis en facteurs clés de succès dans tous les secteurs de la société tend à se généraliser. Elle est cohérente et logique. Hélas, elle a un peu de mal à se concrétiser dans les faits et dans le travail quotidien de chacun. Très souvent, les choix effectués, même lorsqu’ils ont été validés (!) par les collaborateurs, montrent plus ce qui est souhaité que ce qui existe. D’autre part, les valeurs sélectionnées expriment parfois, pour quelques unes d’entre elles, des connotations économiques qui ne font pas l’unanimité chez tout le monde. Certaines valeurs affichent un peu trop clairement les comportements souhaités par les managers de la part de leurs personnels pour que l’entreprise fasse du profit. En plaisantant un peu (pas beaucoup pour certaines chartes de valeurs existantes), nous pourrions proposer une déclaration comme celle-ci :

• Ne pas contester les ordres.

• Travailler autant que le chef le demande.

• Ne pas réclamer d’augmentation de salaires.

 

La compréhension des valeurs.

La deuxième étape consiste à communiquer sur ces valeurs et plusieurs procédés peuvent être utilisés pour cela. Par exemple, déployer les valeurs en principes d’actions. Cela consiste à expliquer comment les valeurs s’expriment, se manifestent dans le quotidien. Les principes d’actions peuvent aussi être des engagements. Dans ce cas, les individus prennent position pour faire telle ou telle chose. Par exemple, la satisfaction du client se traduit, pour l’accueil, par un engagement de présence des hôtesses. Il est possible encore d’afficher et d’expliquer des contre valeurs, ce qu’il ne faut pas faire. Par exemple, ne rien dire lorsqu’un incident ou un dysfonctionnement se produit, ne pas aider un collègue en difficulté ou bien encore ne pas former un nouvel embauché. Il y a aussi bien entendu les techniques classiques de communication qui permettent par voie d’affichage, de réunions, de journaux d’entreprises, de faire connaître et d’expliquer les valeurs, les principes d’actions et les engagements.

 

La mise en pratique des valeurs.

C’est l’étape la plus intéressante bien évidemment mais aussi celle où les résultats sont les moins probants, les moins mesurables et les plus improbables. Des enquêtes permettent de mesurer la mise en pratique des valeurs. Par exemple, il sera demandé régulièrement au personnel de s’exprimer sur la transparence de la communication avec la hiérarchie si cela est considéré comme une valeur. Même si le traitement est de mode qualitatif, il est alors possible d’évaluer une tendance positive ou négative.

 

Les valeurs sont parfois transformées en normes. Cela est un peu plus contraignant que les engagements ou les principes d’actions. La norme signifie bien entendu, obligation et contrainte sous prétexte que cela est une nécessité vitale pour l’entreprise. Bien que ce genre de démarche se justifie parfois par sa logique (il est bien évidemment nécessaire de satisfaire le client, de lui sourire ou de lui dire bonjour) nous savons qu’il existe une grande différence de fait lorsque cela est considéré comme une obligation par l’employé ou bien lorsque cela est accepté et fait avec cœur. A mon avis, la norme est le moyen le plus détestable de mettre en pratique les valeurs. Le propre d’une valeur est de correspondre à une croyance profonde de l’individu et de l’aider à changer naturellement ses comportements. Si je suis honnête, ce n’est pas parce que la loi m’y oblige. Au contraire, si je crois profondément à l’honnêteté, il n’est pas besoin de norme et de loi. Je serai honnête dans toutes les circonstances, y compris celles où il n’y a pas de gendarme pour faire respecter la loi.

 

L’intérêt du management par les valeurs est justement qu’il dispense de faire des efforts pour surveiller les individus et qu’ils feront naturellement, avec conviction et responsabilité, des actions qui, dans un contexte « normal », demanderaient l’écriture de procédures puis l’explication de ces bonnes pratiques puis enfin leur contrôle.

 

Dès l’instant où il y a procédures (normes) et évaluation (surveillance), le management par les valeurs n’apporte pas la performance que nous souhaitons. Le management par les valeurs doit permettre à l’entreprise d’être plus efficace autrement dit de travailler avec moins de structures de surveillances et d’encadrement et donc avec moins de procédures et moins de réglementations.

 

Les vertus peuvent devenir des valeurs universelles pour les entreprises.

Une voie intéressante est fournie par André COMTE SPONVILLE lorsqu’il parle des vertus dans son ouvrage « Petit traité des grandes vertus » (Editions Seuil 2001). En effet, il propose une liste de dix huit vertus qu’il commente et explique. A la lecture de ce livre, une première évidence s’impose comme une révélation :

 

L’entreprise est un lieu non vertueux !

 

• Par exemple, le courage n’est pas toujours récompensé pour ceux qui disent la vérité ou qui expriment leurs opinions.

• Par exemple, la politesse qui n’étouffe pas toujours certains occupants de postes hiérarchiques.

• Par exemple, la prudence qui n’est pas de mise parfois pour assurer la sécurité des personnes ou dans des décisions de management.

• Par exemple la tempérance qui souffre de gaspillages quelquefois éhontés.

• Par exemple, la justice qui ferme les yeux sur certains privilèges.

• Par exemple, la miséricorde qui est absente souvent dans la recherche de coupables en cas de problème.

• Par exemple, la compassion qui ne voit pas les différents niveaux de confort de travail entre le personnel de production et celui des bureaux.

• Par exemple, la gratitude qui s’oublie pour remercier les efforts particuliers.

• Par exemple, l’absence d’humilité de ceux qui se mettent en avant.

• Par exemple la simplicité qui ne s’exprime pas dans l’ésotérisme de certains vocabulaires ou dans certaines déclarations de stratégie.

• Par exemple la tolérance qui est absente pour juger des erreurs engendrées par des initiatives malheureuses.

• Par exemple la pureté dans l’absence quasi totale de désintérêt observé dans les activités des entreprises.

Nous cherchons souvent la bonne foi, nous trouvons rarement la douceur, l’humour est très mal vu et l’amour est prié d’attendre dans le hall.

 

Les vertus seraient-elles des pistes pour établir des valeurs d’entreprises ?

Je pense que oui car les vertus possèdent des qualités indéniables.

D’abord elles sont partagées par tous. Cela signifie qu’il n’y a pas de temps perdu pour convaincre le personnel concerné. Quelque soit le choix de la vertu sélectionnée, personne ne s’oppose ou ne conteste le bien fondé de cette vertu.

Personne ne conteste le courage, ni la justice, ni la douceur, ni l’amour. Si ces vertus sont choisies comme modèles, il y aura forcément consensus.

Bien entendu, comme pour des valeurs ordinaires, l’exemple est à donner par les managers. Les vertus ne se décrètent pas. Le discours ne vaut rien en la matière et il est préférable de montrer par les faits que l’entreprise se comporte de manière vertueuse plutôt que d’écrire des chartes et de les placarder dans les bureaux et dans les ateliers. Or, outre que cet exercice est difficile, la démonstration d’une vertu ne peut se faire n’importe quand. Démontrer que nous sommes courageux nécessite de vivre une situation périlleuse.

Enfin, il convient de définir des modèles concrets de comportements et de communiquer sur ces modèles par le discours (un peu) et par l’exemple (beaucoup). La communication se fera par le biais de la hiérarchie qui verra là un rôle motivant à remplir.

 

Il convient de définir des modèles concrets de comportements vertueux.

Les lignes qui vont suivre sont des exemples qui peuvent faire l’objet d’applications sur le terrain. Cette liste n’est pas exhaustive bien entendu. J’ai simplement essayé de montrer qu’il est possible de travailler autrement, en reprenant chacune des vertus identifiées par André Comte Sponville, et en proposant un exemple d’attitude à prendre dans une situation donnée.

 

La politesse.

La politesse peut s’exprimer naturellement dans le bonjour du matin. Nous le faisons presque tous mais ce presque est insuffisant. Bien entendu, ce ne doit pas être considéré comme une obligation qui conduirait chaque responsable à faire le tour de ses troupes comme une corvée dont on se débarrasse le plus vite possible pour passer à autre chose de plus sérieux (le planning, la réunion de production, etc.). Le bonjour du matin est l’occasion de connaître les dispositions d’humeur de ses collègues de travail, de constater la forme ou les soucis qu’ils peuvent afficher sur les visages, de prendre réellement des nouvelles de leurs santés et de la famille. Dans les professions de foi affichées par les entreprises, citées en exemple plus haut, nous trouvons plusieurs fois le terme de « respect des personnes ». Ce respect ne commence-t-il pas par ce premier contact sincère qui dit clairement à l’autre :

« Tu es important et en conséquence, je consacre un peu de temps à échanger avec toi avant de produire ».

 

La politesse se traduit aussi très facilement par des remerciements pour un service rendu ou pour un travail effectué. Nous entendons trop souvent des responsables affirmer que les collaborateurs sont rémunérés pour le travail qui leur est demandé et que cela n’est pas utile de passer son temps en remerciements. Rappelons simplement que cela la politesse ne prend pas de temps et que c’est également une marque de respect que de remercier la secrétaire qui prépare un café pour un visiteur ou de remercier un collaborateur qui a travaillé un samedi pour terminer un travail urgent. Même s’il est payé en heures supplémentaires ce matin là.

Je ne parlerai pas des insultes (cela arrive hélas), des familiarités abusives et autres relations à proscrire.

La politesse réside concrètement par exemple dans le fait d’arriver à l’heure à une réunion.

 

La fidélité.

La fidélité réside d’abord dans la mémoire de ce qui a été. Etre fidèle, c’est ne pas oublier ce qui a été fait, ce qui a été dit, ce qui a été promis. Un engagement a été pris pour qu’un certain nombre de personnes se retrouvent à une heure donnée. Je serai fidèle à l’engagement pris en arrivant à l’heure. Il serait possible de classer également cette attitude dans la famille « politesse ». Peut importe. Il n’y a pas de frontière entre les vertus et que nous nous référions à l’une ou à l’autre n’a pas d’importance. Nous savons désormais que la ponctualité est une attitude vertueuse.

La fidélité se manifeste aussi dans la reconnaissance des années passées au service de l’entreprise. Combien de départs en retraite se passent dans l’anonymat le plus complet. Un pot vite fait à la cantine, le patron qui passe en coup de vent, et au revoir.

Pour vingt ou trente années de travail ?

Bien sûr celui ou celle qui quitte le navire ne sert plus à rien. Mais même si, cyniquement, nous pourrions croire que le temps passé à remercier et à fêter ce départ est du temps perdu, nous devrions penser au moins à ceux qui restent et qui continuent à travailler. Car ils auront compris désormais que le souvenir de leur existence disparaîtra à l’instant précis où eux même s’en iront. C’est pareil pour ceux qui quittent l’entreprise pour un autre job ou pour une raison familiale quelconque. Ces départs peuvent être préjudiciables à la bonne marche de la boutique mais que cela ne nous empêche pas de les remercier pour le travail accompli et leur contribution à la performance de l’entreprise. Ce sera là un exemple pour ceux qui restent et qui se rendent compte que leur passage dans l’entreprise est important et qu’il comptera pour la direction et pour les collègues de travail.

 

Le fonctionnement vertueux se montre par l’exemple et dans les détails des activités quotidiennes.

La vertu comme les valeurs ne se décrète pas. Il ne sert à rien de clamer autour de soi que l’on est courageux, généreux, joyeux ou bourré d’humour. Il faut le démontrer dans l’action. A l’instar de Jean COCTEAU (« Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour »), nous pourrions affirmer : « Il n’y a pas de vertus, il n’y a que des preuves de vertus ».

Il faut donc en tout premier lieu disposer d’une sorte de dictionnaire ou de glossaire des attitudes et des comportements qui circulera dans l’entreprise. Il conviendra que cette manière de charte soit présentée de façon conviviale et pourquoi pas humoristique puisque l’humour est une vertu. Il ne s’agit pas d’en faire un pensum ennuyeux et donneur de leçons.

Dans toute forme d’organisation, une des premières tâches de l’organisateur consiste à modéliser les principes et les concepts pour en faire des références de fonctionnement.

Ces comportements vertueux, qui devront concerner toutes les catégories de personnel sans oublier l’encadrement et les directions, s’exprimeront de façon simple et concrète.

La motivation ne s’impose jamais. Elle est le résultat de la présence quasi quotidienne et visible de facteurs qui doivent être identifiés.

Si les directions pensent que l’enjeu de la performance et de l’efficacité est important pour leur entreprise et si elles sont convaincues qu’une partie non négligeable de cette performance proviendra de la motivation de leurs troupes, alors elles devront trouver le temps pour s’y intéresser.

Il y a bien sûr l’obligation de communiquer sur le sujet avec l’encadrement et la maîtrise. Il y a encore l’obligation de mesurer l’implication de ces cadres et de cette maîtrise et d’en tenir compte dans l’évolution de leurs carrières.

Il y a pareillement l’obligation de promouvoir les comportements vertueux et également de les évaluer par le biais d’entretiens réguliers. Les entretiens d’évaluation, les revues de direction et de processus sont des pratiques idéales pour ce type de mesure.

Il y a enfin l’obligation de proscrire absolument tout contre exemple qui risquerait d’annuler tous les efforts entrepris en ce sens. Et si par le plus grand des hasards, il devait se produire une situation qui exige une telle décision, il est clair qu’il conviendra de communiquer sur ce cas de figure et de justifier ces choix de décisions non vertueuses.

 

Yvon Mougin

 

(Texte inspiré de l’ouvrage : Manager durablement dans l’efficacité, Edition AFNOR-2004. Mention spéciale au prix du livre Qualité et Performance 2005)

Publié dans Management

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